Tenur quittait rarement son domaine de Sigel, préférant rester parmi son peuple et s'assurer de sa prospérité, tout en maintenant des relations stables avec les nombreuses peuplades des montagnes, protégeant de fait toutes les villes et villages avoisinant les monts d'attaques de pillards, autant que faire se peut.
Ces tâches l'accaparaient la majeure partie du temps, bien qu'il n'ait pas été complètement propulsé sans formation à cette place. Son oncle bien-aimé l'avait toujours formé et habitué aux aléas du pouvoir. Malgré les dissensions que cela entraînait, le petit Tenur passait une grande partie de son temps aux côté du Comte et Roi, bien souvent caché derrière le trône, intimidé par toutes les hautes figures.
Grandissant, et gagnant en confiance et en popularité, Tenur devint un solide gaillard. Contrairement à la plupart de ces camarades, il était loin d'être une grande gueule tapant du poing sur la table. A l'image de son tuteur, il était calme et réfléchi. Souvent, il s'isolait durant des heures, voire des jours, pour prendre une décision difficile. Lorsque ce délai durait trop, son oncle venait pour l'épauler et parfaire son apprentissage. S'ensuivit une profonde confiance, ainsi qu'un immense respect envers son bienfaiteur.
Après des années d'entraînement aux armes, le jeune Nain ne trouvait aucune arme conventionnelle qui lui convienne. Un jour, aux prises contre son instructeur, il attrapa dans un geste d'énervement un balai qui traînait dans le coin, se débarrassant de sa hache, et mit KO sans mal tous les entraîneurs qu'on lui envoya. Le bâton sommaire fut bientôt remplacé par un bâton de combat, puis par une lance, que les maîtres forgerons créèrent avec le plus grand soin, cette demande étant des plus incongrues chez le Petit Peuple.
Tenur se fit donc un nom, réputé pour sa lance impitoyable, son flegme et sang froid en toute circonstance mais aussi un altruisme qui lui a souvent joué des tours. Il devint un Nain respecté et considéré comme le digne successeur de son oncle. Il entretint notamment d'excellentes relations avec Marie Minon depuis sa plus tendre enfance, soudant d'amitié durablement le comté voisin de Floche.
Cependant, nulle personne ne l'a pour l'instant vu en galante compagnie. Quiconque osa s'en étonner et poser la question auprès de Nains de Sigel s'est vu octroyer au mieux une réponse évasive et marmonnée, au pire un regard foudroyant. La potentialité d'une aspirante reines ou même de maîtresses est donc jusqu'ici totalement exclue. Essayer de lui poser la question en personne n'apporte qu'un coup de lance, ou un sourire énigmatique.
Selon l'Ambassadeur à Amon Sul de Sigel, véritable puits de savoir du peuple Nain, Tenur n'aurait été vu réellement dans une colère incontrôlable et destructrice qu'une seule foi : lors de l'assassinat de son oncle. Ce terrible jour, les murs eux-même du château enchâssé dans les parois des montagnes ont vibré sous la puissance de son cri de douleur et de haine. Ses compatriotes fuyaient sur son passage tant l'aura de désespoir qu'il dégageait était puissante. Hurlant comme un dément, il aurait disparu au bas mot deux semaines dans les tréfonds des mines, dans les secteurs abandonnées et croulants. Les rumeurs les plus folles coururent à son sujet, fondées ou non. D'aucun criaient à qui veut l'entendre qu'il avait péri dans un éboulement, d'autres qui s'était donné la mort en se jetant dans un précipice.
Après ces jours d'attente et d'effervescence dans le comté et dans Sigel, le deuil du Roi Balin ainsi que de son neveu Tenur s'organisait. Enfin, un pan de mur dans la chambre du futur comte tomba soudainement, et celui-ci se tenait derrière. Ruisselant de sueur, des cernes de dix kilomètres sous les yeux et couvert de sang et de poussière, il avait l'oeil vide et semblait au bord de la mort. Les géologues estimèrent qu'il avait creusé plusieurs centaines de mètres de galeries à sa seule force, durant ces deux semaines, sans discontinuer.
Après un repos continu de plusieurs jours, il se releva enfin, et fut intronisé Comte de Sigel. Le deuil de son oncle passé, il prit les rênes de son territoire...